Direction la forêt de Fouesnant. Elle va
sauter le déjeuner. Pas le temps de bouffer.
Sur la départementale étroite, la Clio chahutée par
les bourrasques fait des écarts. Puis elle emprunte un petit chemin enfoui sous
une voute de feuillus, chênes, bouleaux. Elle se perd, appelle le commandant
pour qu’il la pilote. Il panique au bout du fil. L'engueule. Qu’est-ce que tu
vas foutre là-bas ? Mais rien, je visite le bon vieux temps.
Elle pousse le portail, terrain envahi par
des herbes hautes, des ronces, une maison en ruine.
L'homme crèche dans un bungalow
délabré, installé dans cette propriété inhabitée.
Planté devant son logis, Leguen la regarde s’avancer.
Je voudrais vous parler, monsieur Leguen.
Il a l’air de tomber des nues. Bourré. Ou
drogué ? Mais content d'avoir de la visite. Il sourit.
Pour le moment.
Attends un peu...
Elle ne va pas prendre de gants, lui
rafraîchit d’emblée la mémoire.
Elle a soif de vérité.
Elle veut la lui faire cracher.
Dès qu'elle commence à lui présenter sa
requête, il pâlit. Les souvenirs lui plombent son sourire, au Leguen.
Mais il s’exécute.
Obligé.
1995
La vieille leur disait : il faut
s’imaginer ce que c’était pendant l’occupation. Un couple d’artistes juifs
envoyés par Max Jacob, ami de la famille, avait débarqué à Quimper, en 1943,
chez ses parents qui les avaient cachés pendant quelques semaines avant de
pouvoir les faire évader en Angleterre. La femme était peintre. Elle avait
laissé chez eux une dizaine de toiles, espérant pouvoir les récupérer après la
guerre, mais ils n’étaient jamais revenus les chercher. Personne n’est au
courant dit la vieille en faisant grimper au grenier les trois garçons
impatients de découvrir les œuvres. Une dizaine de peintures précieusement
conservées dans une malle pendant cinquante ans, au cas où les descendants
viendraient les demander. Qui sait ce
qu’ils sont devenus ? Les pauvres ! Des œuvres impressionnistes,
d’artistes qui devaient se réclamer de l’école de Pont-Aven. Elle leur fit part
de son intention de les offrir au musée de Pont-Aven justement. Les artistes
étaient inconnus des jeunes hommes, sauf deux, dont ils avaient entendu parler
: Seurat et Signac. Et une gouache sur papier, signée Max Jacob. Étonnant. Ça
va chercher dans les combien, un truc pareil ?
Ils laissèrent la vieille femme refermer la
malle, puis soulever la trappe et s’engager la première dans la descente. Au
moment où elle posait le pied sur le quatrième barreau, agrippée aux montants,
l’échelle partit en arrière.
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