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lundi 15 janvier 2018

Le chien jaune



Chers lecteurs,

Pour vous tenir en haleine jusqu'à la parution de mon roman, j'ai décidé de vous offrir une nouvelle, découpée en trois ou quatre épisodes.
Le titre est un hommage à Simenon. Je n'ai pas son style, mais j'ai essayé d'imiter l'atmosphère de ses récits

Voici le premier épisode : 


Le chien jaune
ou 
L’ANCRE ET L’ÉCUME


 En sautant de l’autocar, au moment où elle pose le pied sur le quai, Mona acquiert la certitude de débarquer dans le passé.
Concarneau. L’air est vif, salé. À fleur de peau. Le ciel d’encre et d’écume.
Elle fait un tour d’horizon pour investir les lieux, traîne sa valoche jusqu’à l’entrée de la vieille ville, elle veut se payer un coup d’œil sur les remparts et le beffroi.
Le cadran solaire.
Elle sait à l’avance ce qu'elle va lire : Tempus fugit velut ombra.
Oui, mais justement.
Pas pour elle.
La preuve :
Elle est venue le réveiller, le temps. Le sortir de l’ombre.
Elle file à l’hôtel du port. Épuisée par le voyage. Monte direct se coucher. Qui dort dîne.  On verra demain.


Neuf heures du matin, dans la clio de location, elle quitte la ville, il bruine, route de Trégunc, consulte plusieurs fois son IPhone qui l'amène sans tergiverser route de Penn Ker Traon. Petite maison typique, fidèle à l’image qu’elle s’est forgée, murs blancs, entourage des fenêtres en pierres de taille, volets bleus.
La pluie a cessé, le vent a forci, le ciel laiteux se déchire. Quand elle veut descendre du véhicule, une rafale manque d’arracher la portière. C’est toujours comme ça, ici ?
L’homme qui la fait entrer la dévisage comme une revenante. Elle veut lui déballer son pedigree, mais il a vite pigé, elle ressemble tellement à sa mère… Aphasique, le commandant de la marine marchande. Il répète son prénom, Mona, Mona… Elle lui laisse quelques minutes pour se reprendre. Le contemple aussi. Satisfaite de l'examen.
Elle lâche très vite l’objet de sa visite, un souvenir rebelle, inusable, même si elle s'y est frottée depuis des lustres,  et le reste, ce qu’elle croit et ce qu’elle veut tirer au clair. Une idée fixe  qui la ronge comme une maladie.
Il répond qu'il ne sait rien, il était en mer au moment des faits, si loin, au large de l’Afrique.
Sur le coup, il est très sceptique. C'est trop loin, cette histoire. Il affirme qu’elle doit se méfier de son imagination.
Mais elle n'en démord pas, elle sait ce qu'elle sait.
Peu à peu, il se met à douter. À se faire son propre cinéma.
"C'est pas possible, c'est pas possible" qu'il répète, parce que justement le scénario commence à lui sembler  envisageable.
La vérité trace. Rien ne l'arrête, elle est en route.
Un bulldozer qui se fiche pas mal de renverser le monde.
La terre se met à trembler.
Vaincu, il se prend la tête à deux mains.  La secoue.
Il se fait un long silence entre eux, un grand-écart, un intervalle de vingt ans, un ravin.
D'un coup de menton, il lui désigne une photo, sur le bahut. C’est elle qui tremble comme une feuille, maintenant.
Puis elle revient à son obsession, ce pourquoi elle est là. Elle ne lâche pas. Elle possède des indices, ce qu'elle croit avoir vu, entendu : Un homme avec un tatouage sur l’épaule, une ancre et deux prénoms : Yvan, ou Yann, et Ronan. Il réfléchit une seconde à peine, acquiesce. Oui, il les connaît. Les trois ?  Elle demande étonnée.
Bien sûr. C’est facile. Inséparables, à l’époque. Des copains d'enfance de Pierrick. Ils faisaient de la voile, tous les quatre. Ils étaient aux obsèques, se souvient le père. Les salauds, elle pense. Ronan Legarrec, notaire aujourd’hui, Yvan Lebreton, pêcheur, et Tanguy Le Guen, débauché, alcoolique,  petits boulots.  Le tatoué, c’est lui.
Le marin ne veut pas la laisser partir comme ça. Donnant-donnant, il veut connaître ses intentions. Savoir dans quoi elle se lance.
Elle le rassure : Pas d’inquiétude.  Elle est en villégiature. Un voyage à l’envers. Besoin de laver sa mémoire, de désinfecter le passé. Rien de plus.
Il grimace, il lui fait comprendre qu’il vient de le prendre en pleine gueule, lui, le passé.
Il pleure à présent, sans penser à s'essuyer. Elle regarde les larmes rouler sur les joues et s'accrocher dans les poils de la barbe du marin. Elle voudrait l’embrasser, mais n’ose pas, elle préfère s'en aller avant de se mettre à chialer elle aussi.
Ils n’en peuvent plus, lui et elle.
Ils échangent leurs numéros. Reviens, qu’il dit.
Elle acquiesce sans se retourner. Pressée.
Tanguy Leguen. C’est par lui qu’elle va commencer.


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